La synagogue de Delme, un laboratoire d’art pour les artistes
Installée aux commandes de la Synagogue de Delme depuis septembre 2007, Marie Cozette apporte de sa jeunesse et de son savoir-faire à l’institution, installée dans le village depuis déjà 15 ans. Elle nous a accordé un entretien au cours duquel elle en dit un peu plus sur cet ancien lieu de culte mais également concernant son parcours personnel, ses souhaits et ses points de vue sur le Centre d’Art Contemporain.
La Plume Culturelle : Quelle est la mission première de la Synagogue de Delme ?
Marie Cozette : Tout d’abord, c’est un Centre d’Art Contemporain, et à ce titre, c’est un lieu de productions, de créations et de diffusions des œuvres d’art contemporaines. D’autre part dans ce laboratoire de formes, les artistes sont invités à des expérimentations. La Synagogue de Delme n’est pas un centre patrimonial et nous n’avons pas de collection propre, à la différence d’un FRAC qui a pour mission l’acquisition d’œuvres ; et enfin nous ne vendons rien puisque nous ne sommes pas une galerie.
LPC : Comment fonctionne cette institution publique ?
MC : Elle fonctionne comme une simple association dite loi 1908 avec une équipe constituée d’une directrice, d’une responsable de la coordination des expositions et de la communication, d’une autre pour l’administration, et enfin d’une hôtesse pour l’accueil du public. Nous acceptons ponctuellement des stagiaires. Nous sommes d’ailleurs le seul Centre d’Art Contemporain de Lorraine conventionné entre l’État, la Région et le département.
LPC : Comment la synagogue est-elle financée, et à quelle hauteur ?
MC : Le lieu est subventionné par l’État, la Région et le département, mais nos deux principaux financeurs sont le Conseil Général et la Drac Lorraine (Direction régionale des affaires culturelles). Quant au bâtiment, il est mis à notre disposition par la commune de Delme, de même que les bureaux dont nous disposons à la mairie. Le budget annuel avoisine les 255 000 euros.
LPC : Pourquoi vos prédécesseurs ont-ils créé un Centre d’Art Contemporain dans un village de 800 âmes, non loin de la ville de Metz où il y a déjà le Frac ?
MC : Notre installation dans une zone rurale fait partie de l’une de nos missions, en tant que Centre d’Art Contemporain conventionné, à savoir apporter une offre culturelle là où elle est le moins attendue. Nous appartenons à un réseau national d’environ 40 structures qui, pour certaines, se situent dans des zones urbaines, et pour d’autres dans des zones périurbaines ou rurales. Je pense que c’est tout à l’honneur de notre pays que de faire exister des centres d’arts à la programmation d’un niveau international même dans un petit village de 800 habitants. Ensuite la Synagogue de Delme se situe entre Metz et Nancy ce qui lui procure un avantage certain, car les visiteurs viennent aussi bien de l’une que de l’autre ville ou des villages autour de Delme. Une dynamique bipolaire, en quelque sorte en terme de public. Au départ, si l’endroit a été choisi et s’est développé ici, c’est que s’est dégagée une volonté de la municipalité d’en faire un lieu de culture, et que quelques personnes ont ambitionné de monter des expositions avec trois fois rien mais, en montrant des œuvres d’artistes, de permettre une vraie découverte et une visibilité intéressante sur les sujets d’art.
LPC : Comment le public réagit-il ou perçoit-il l’art contemporain dans un ancien lieu de culte ?
MC : Le public est intrigué et pose effectivement beaucoup de questions sur l’histoire du site, c’est pour cette raison que, dans l’équipe, un guide est chargé d’accompagner les visiteurs pour expliquer et l’histoire des lieux et le propos de l’exposition. Cela les rend plus curieux.
LPC : Vous êtes à la tête du Centre d’Art Contemporain depuis septembre 2007, quelle est la ligne artistique que vous souhaitez mettre en place ici ?
MC : La façon dont la Synagogue de Delme a été structurée, avant que je n’arrive, est à mon avis plutôt efficace, et je ne suis pas venue ici en me disant que j’allais faire la révolution au Centre d’art ! Au contraire, je vais continuer les expositions au même rythme qu’auparavant. Ce qui est important pour moi, c’est d’inviter un seul artiste à chaque fois dans une expo monographique pour réaliser un projet vraiment spécifique in situ. C’est de pouvoir réfléchir avec l’artiste sur la façon d’intégrer l’architecture des lieux dans son dessein comme une matière à part entière. Il n’est pas évident de suggérer des grandes lignes artistiques, puisque les projets proposés sont avant tout ceux des artistes. Et je ne veux pas non plus instrumentaliser l’endroit en défendant une théorie personnelle qui me conduirait à ne rechercher que les artistes qui correspondraient à celle-ci, pas plus que je ne souhaite imposer une direction prédéfinie. Je préfère que nous travaillions de façon éclectique.
LPC : Alors, quel style artistique souhaitez-vous proposer aux visiteurs ?
MC : Les artistes qui m’intéressent sont ceux qui posent un regard critique sur le monde actuel par un ensemble de créations, de techniques, qui amènent à réfléchir sur les questions sociales ou anthropologiques, sur les images, sur les médias, sur les politiques ou sur l’urbanisme et qui pensent à parler d’autre chose que de l’art. Je n’aime pas trop les projets qui restent dans la pure abstraction, je préfère ceux qui apportent des outils conceptuels ou permettent une réflexion pour se positionner dans ce monde-là et trouver sa place. Il faut que le public reconnaisse une cohérence entre les expositions que nous proposons.
LPC : Quel est votre parcours professionnel ?
MC : J’ai fait des études d’histoire de l’art, mais aussi une spécialisation concernant la direction de projets culturels; puis durant sept ans, j’ai été commissaire indépendante. J’ai monté un certain nombre de projets dans différents lieux comme Paris, Bourges ou Pau, mais sans être attachée à une institution particulière. Par exemple j’ai monté dans la capitale deux sites indépendants dédiés à la scène émergeante pour présenter de jeunes artistes. Avec le poste de directrice à la Synagogue de Delme, je m’attache à un endroit particulier d’une façon un peu plus pérenne.
LPC : Vous avez vécu à Paris où l’activité culturelle est plus grande. Vous retrouver à Delme, cela a dû représenter pour vous un changement de taille ?
MC : C’est vrai qu’il y a en Lorraine un maillage moins important de l’offre culturelle qu’ à Paris, puisque dans la capitale, il existe énormément de lieux où les artistes peuvent exposer. C’est pour cela qu’il me faut continuer à bouger pour rencontrer d’autres artistes ou découvrir des expositions, des foires ou des biennales, afin de développer un réseau professionnel. Ne pas rester en permanence en Lorraine mais avoir le réflexe de se déplacer. Pour ma part ne plus vivre à Paris ne me pose aucun problème dans la mesure où je réside dans un village hyper intéressant, doté d’une image très positive. Je préfère vivre dans un village de 800 habitants et m’occuper d’une structure comme la Synagogue de Delme, plutôt que de coller des timbres au centre Pompidou sur Paris (rire).
LPC : Et concernant le futur centre Pompidou à Metz, quel est votre point de vue ?
MC : Je trouve très important que le Centre Pompidou s’installe à Metz, car cette institution dégage une image hyper positive, qui se rattache à l’art moderne et contemporain. Cette installation va permettre également au public de se familiariser avec la création contemporaine. Par la suite, l’idée à creuser pour les Lorrains sera qu’il y ait des logiques de partenariat entre les multiples structures culturelles, qui ne devront pas rester chacune dans son coin. Je pense que la Synagogue de Delme ne pourra que bénéficier du crédit positif dont jouira le centre Pompidou.
Article publié le 5 mai 2008 dans le bimédia lorrain La Plume Culturelle.
Photo : © LPC|JML – La Synagogue de Delme.