Quand l’art contemporain rencontre l’archéologie, cela donne « AG OB AS »
Depuis le 9 décembre dernier, et jusqu’au 8 janvier 2011, Ann Guillaume a investi la galerie Octave Cowbell de ses œuvres inspirées d’objets archéologiques, et s’est installé également un pied à terre temporaire aux Musées de la Cour d’Or de Metz Métropole. L’exposition « AG OB AS » se vit comme un laboratoire intemporel où les objets ne se définissent que par leur présence physique, et non par des repères scientifiquement mesurés ou par leurs origines. Du faux au vrai… tout un programme !
À première vue, lorsque vous pénétrez dans la galerie messine Octave Cowbell (par la fenêtre, s’il vous plaît), vous avez l’impression d’entrer dans la salle d’un musée où seraient exposés des objets venus d’un autre temps et découverts lors d’une fouille archéologique. Vous êtes envahi de l’impression désagréable que le passé garde ses secrets et vous nargue en suscitant malgré tout l’envie d’en savoir davantage sur les œuvres exposées dans la pièce. Ann Guillaume, jeune artiste d’origine messine installée à Paris, a réussi son pari. Allier l’archéologie et l’art contemporain. Mais pas seulement. Tout semble authentique, alors que tous les objets sont faux. Le concept que l’artiste semble vouloir partager avec le public consiste à casser les codes du temps définis par l’archéologie et l’histoire. Alors elle s’inspire de leurs techniques et de leurs interprétations. Le résultat ? Bluffant.
Ann Guillaume s’est inspirée de son mémoire consacré à l’Allemand Aby Warburg, historien de l’art et inspirateur de l’iconographie, présenté lors de sa maitrise d’histoire de l’art. Elle se réfère à la thèse de ce dernier selon laquelle il existe dans l’histoire de l’art une autre représentation du temps qui devrait se pratiquer non plus d’une façon linéaire, mais plutôt circulaire. « Que nous nous intéressions à des objets du XVIème ou du XXème siècles, c’est un lien de civilisation qui les unit, un rapprochement de la matière et non pas une systématique hiérarchisation des choses », explique-t-elle. Grâce au travail de son mentor, la jeune trentenaire entreprend de matérialiser la perte des repères concernant les objets. « Si l’archéologie me fournit ma base de travail, j’aime surtout remettre en circulation des objets, des idées et des formes dans le système d’exposition offert par l’art contemporain », signale encore la jeune femme.
Pliure temporelle vers l’œuvre de fiction…
Assez surprenante l’œuvre « Fragments de rails en céramique 100 × 6 × 4 », où l’artiste laisse croire que ces rails en céramique ont été réalisés par un homme visionnaire du Vème siècle dans un four gallo-romain, découverts sur le site de fouilles de Bassin, là même où une ligne du TGV Est sera mise en fonction dans quelques mois. Ann Guillaume a voulu créer une pliure temporelle, une œuvre de fiction. Si le processus de cuisson et la matière demeurent authentiques dans leur facture, poster affiché au mur de la galerie d’exposition, « vestige » sur le rebord de la cheminée dudit lieu, la tromperie reste splendide. Selon elle, cela n’est « ni la reproduction d’un objet ayant appartenu à une société reculée, ni l’imitation inopérante d’un matériel observé dans une société plus avancée, mais une production incluant ces deux opérations, les fondant l’une dans l’autre ».
La visite permet également de découvrir sur les murs de fausses mires graduées. Fausses car la graduation semble altérée alors qu’elles doivent normalement matérialiser l’échelle de l’objet photographié ou de connaître avec exactitude la profondeur des lieux de fouille correspondant à une époque définie. Intéressez-vous aussi à des pots en terre cuite « Chœurs », plus vrais que nature, sans oublier, aux Musées de la Cour d’Or (Metz), une installation de 5 mètres de long, Crayon de papier sur papier (110 cm x 555 cm), ainsi qu’une mesure Fragment de marqueterie et une cartes postale d’Aby Warburg au Nouveau Mexique.
Maintenant, vous ne verrez plus l’archéologie de la même façon et surtout pas avec un guide comme… Ann Guillaume.
Article publié le 16 décembre 2010 dans le bimédia lorrain La Plume Culturelle.
Photo : ©LPC|JeanVier – Ann Guillaume à la galerie Octave Cowbell jusqu’au 8 janvier 2011.