« A contre-corps, œuvre de dévoration » au Frac Lorraine
Du 16 mai au 20 septembre prochain, le Frac Lorraine présente dans ses locaux sa deuxième exposition temporaire annuelle. Anthropologie, bouche, dévoration, artistes brésiliens et fil de coton, voilà de quoi susciter la curiosité du public pour les mois à venir sur la colline Sainte-Croix à Metz.
Impossible de perdre le fil conducteur de l’exposition « A contre-corps, œuvre de dévoration » qui a lieu en ce moment et jusqu’au 20 septembre prochain au Frac Lorraine à Metz. Il suffit pour cela de suivre des yeux les quatre mille kilomètres de fil de coton noir qui se sont approprié la totalité de l’espace de l’hôtel Saint-Livier. Une performance signée du Brésilien Cildo Meireles qui la présente pour la première fois en France et à l’occasion de la manifestation « Constellation ». De toute façon, pour traverser la cour de la bâtisse médiévale, et accéder aux différentes pièces pour admirer les œuvres d’Anna Maria Maiolino, de Lygia Clark et Mathieu Kleyebe Abonnenc, vous devrez progresser en compagnie de « La Bruja 1 ». Pour une fois que le public a la possibilité de toucher du bout des pieds voire de piétiner une création sans qu’il lui soit reproché quoi que ce soit, il serait dommage de s’en priver.
Ainsi, le fil de coton ininterrompu qui vous accompagne tel un guide vous emmènera devant les clichés de Lygia Clark (décédée en 1988) qui présentent des performances collectives intitulées « Canibalismo » et « Baba Antropofagica » réalisées en 1973 à Paris avec des étudiants de la Sorbonne. Une expérience figée dans le temps où le public observera, dans la première série de photographies, un homme allongé par terre et habillé d’une combinaison. À son ventre, une poche intérieure munie d’une fermeture éclair regorgeant de fruits. Autour de lui, ses semblables. Assis et les yeux bandés, qui se régalent de ses agrumes. Que pouvons-nous imaginer ? Mangent-ils les viscères de la victime ? Sur le second jeu d’images, les participants dévident de leur bouche une bobine de fil de couleur. Ils recouvrent un corps allongé et les protagonistes se retrouvent emmêlés par leur « bave » de fil coloré.
Mais « La Bruja 1 » de Cildo Meireles ne s’arrête pas en si bon chemin puisqu’elle vous dirigera vers le lieu de projection du film d’Anna Maria Maiolino « In-Out Antropofagia ». La succession d’images cinématographiques offre au public un cadrage serré d’une bouche féminine et masculine. Un œuf puis des fils de couleurs sortent de cette ouverture naturelle terrifiante à force de la regarder de si près car les dents, les lèvres, la langue et le nez jouent un rôle prépondérant. Les séquences successives s’accompagnent d’une bande son. Une sonorité buccale retravaillée et déformée qui produit un effet effrayant. Quant à Mathieu Kleyebe Abonnenc, il expose quatre impressions sur aluminium (« Terra Nullius ») où l’artiste prend pour motif des scènes de la forêt amazonienne d’après les gravures réalisé par Jules Crevaux, un des explorateurs de la Guyane. Il marie volontiers l’obscurité avec les sujets.
Enfin, si vous n’avez pas été happé voire englouti par la nappe de fil noir de « La Bruja 1 », dans la dernière pièce du Frac Lorraine, vous trouverez la réponse à votre question. Qu’est-ce que « La Bruja 1 », qui est-elle ? Mais où finit-elle son chemin ? Cildo Meireles conçoit sa performance comme « un fil conducteur ou un obstacle » pour le public, mais qui permet toutefois la connexion entre les œuvres des autres artistes présents. « Pour moi, ‘‘ La Bruja 1’’ permet d’utiliser d’autres sens comme le toucher ou l’ouïe et pas seulement la vue », explique-t-il tout en reconnaissant que cette production ne laissera pas le public indifférent. Le sujet de l’exposition non plus, d’ailleurs.
Selon les organisateurs, il faut voir autour de « A contre-corps, œuvre de dévoration », « l’idée d’œuvre dévorante, la décoration physique de l’espace occupé, habité, voire phagocyté. Dévoration psychique de l’individu ingéré, assimilé, ‘‘devenu’’ collectif. Dévoration intellectuelle et sociale qui fait de l’autre une part de soi, et réciproquement ». Bref, du cannibalisme culturel. Tout un programme. Au public d’être conquis par l’exposition. En tout cas, il bénéficiera de quatre mois pour digérer l’ensemble du menu.
Article publié le 15 mai 2009 dans le bimédia lorrain La Plume Culturelle.
Photo : ©LPC|JML – Cildo Meireles, artiste brésilien à côté d’une infime partie de sa performance « La Bruja 1 ». Derrière lui, les clichés de Lygia Clark.