
Interview : Denis Robert avant liquidation !
Denis Robert, ancien journaliste à Libération et auteur de sept romans, d’une dizaine d’essais et de cinq documentaires, publie aux éditions Flammarion « Une affaire Personnelle ». Une biographie qui dévoile l’intimité de l’auteur et raconte ses déboires avec la multinationale Clearstream. Pour la Plume Culturelle, il nous parle des affaires en cours et de son ouvrage.
La Plume Culturelle : Votre dernier ouvrage englobe vos souvenirs personnels et vos démêlés avec Clearstream. Pourquoi un tel livre aujourd’hui ?
Denis Robert : Je ne voyais pas ce que je pouvais écrire d’autre. Je me souviens que j’avais commencé à rédiger un roman mais j’ai dû l’arrêter rapidement car je n’étais plus inspiré. Et puis un ami biographe, que j’apprécie beaucoup, a tenté d’écrire un livre sur moi et quand je l’ai lu, je me suis rendu compte que cela n’allait pas, qu’on n’y rendait pas assez compte de la violence dont j’avais pu être victime. J’ai donc ressenti le besoin d’écrire moi-même ce livre sur ma vie.
LPC : Vous êtes l’objet de nombreuses procédures judiciaires intentées par la société Clearstream. Qu’en est-il à ce jour ?
DR : La multinationale a déposé des plaintes contre moi en France, en Belgique et au Luxembourg, donc je subis les plaintes et je me défends. Parallèlement à l’affaire judiciaire, il y a de plus en plus de personnes qui lisent mes livres ou qui voient mes films et ces gens-là comprennent tout de suite à quel point j’ai tapé dans le mille. Quant aux autres qui n’auraient jamais lu mes ouvrages, je reste une énigme, un sujet de questions. Donc le travail des attachés de presse ou des avocats de la multinationale consiste à installer autour de moi un barrage de sécurité pour empêcher que les choses se sachent. Alors ma façon de résister à cette attitude est de demeurer assez droit et solide sur mes arrières, et puis de répondre quasiment au coup par coup, et vous savez… il y en a beaucoup.
LPC : L’affaire de la multinationale est confuse et complexe. Quel est le lien entre votre ouvrage « Révélation » et l’affaire du corbeau, avec le faux listing qui implique des politiques français ?
DR : Que ce soit pour « Révélation » ou « La boîte noire », mes ouvrages comme d’ailleurs mes films, sont toujours attaqués et je suis engagé dans des procédures très longues puisque certaines sont en première instance et d’autres en appel. D’une façon générale, je gagne mes procès, et j’étais donc dans une phase judiciaire plutôt ascendante quand est intervenue Clearstream 2 avec l’affaire du corbeau, où une ou plusieurs personnes ont utilisé mon travail, mais dans quel but, je ne sais toujours pas. En tout cas, des manipulations existent parce que des intérêts stratégiques sont en jeu, liés à l’aviation, aux usines d’armements, aux médias et évidemment à la vie politique. Et donc ceux qui détiennent les clefs de l’histoire, ce sont les manipulateurs et je ne sais pas qui ils sont. En revanche, ce que je peux dire, c’est que je me suis retrouvé dans cette tempête malgré moi. On m’a poussé sous les feux des médias et de la justice, mis en examen et perquisitionné chez moi. Ce n’est pas quelque chose que j’ai voulu, car comme je sais que mon enquête est solide et que Clearstream 1 reste l’affaire la plus importante, je maintiens mon cap simplement sans trop me poser de questions.
LPC : Pensez-vous que la deuxième affaire a été provoquée pour étouffer la première ?
DR : Non, du tout, car la première affaire avait déjà été étouffée au niveau médiatique par la paresse et la couardise des journalistes, et le musellement de la justice. Il n’y avait plus de soucis à se faire de ce côté-là. Seul le milieu alter mondialiste ou les gens très informés ont pris conscience de l’importance de Clearstream 1. Et puis la multinationale engrange de tels bénéfices que je ne leur pose pas un réel problème. Avec moi, on ne négocie pas, et puis d’ailleurs leurs conditions pour un accord à l’amiable étaient tellement insupportables que rien ne s’est jamais résolu. Alors ils ont mis en place tout un système de défense et d’attaque qui vise à me faire taire, mais je continue à m’exprimer.
LPC : Après vos déboires judiciaires et la couardise des journalistes, que pensez-vous de la liberté de la presse et de la liberté d’opinions ?
DR : C’est un problème de personne et d’individu avant d’être un problème collectif. La liberté est une question de solitude face à soi-même. Soit on se sent libre et on pratique cette liberté en prenant des risques, soit on invente des règles qui lient les mains. Moi à ce niveau-là je crois à l’individu et je ne pense pas que des lois pourront changer grand-chose.
LPC : Vous aimez trop la liberté pour qu’on vous dicte ce que vous devez penser ou faire ?
DR : Voilà, c’est exactement cela, j’ai envie de me lever le matin et ne pas avoir de chef, et ça a été comme cela très tôt. D’ailleurs, je n’ai pas envie d’être le chef de quelqu’un. A un moment donné, j’ai fait ma vie comme j’avais envie de la faire… je n’ai aucun regret.
LPC : Est-il de plus en plus difficile d’écrire des ouvrages d’investigation ?
DR : Chez les éditeurs, c’est évidemment de plus en plus difficile d’éditer des livres comme les miens. Des ouvrages comme « Révélation » ou « La boîte noire », je ne pourrais plus les écrire aujourd’hui comme je l’ai fait il y a encore trois ou cinq ans. A l’époque mon éditeur et moi vivions dans une sorte d’inconscience et une foi en l’avenir qu’on a moins maintenant. Trop risqué aujourd’hui ! Et puis en ce qui me concerne, je n’écris pas de livres d’investigation, j’enquête et je réfléchis naturellement. Ensuite, mes ouvrages sont très différents de ce qui se pratique dans le secteur de l’édition. Ce qui va être très difficile pour moi, c’est de trouver un sujet aussi passionnant que Clearstream, car j’ai touché là une affaire internationale, une sorte de scoop mondial si bien que mes livres ont été traduits dans plusieurs pays du monde. Les sujets qu’on me propose aujourd’hui… m’intéressent beaucoup moins.
Article publié le 5 juin 2008 dans le bimédia lorrain La Plume Culturelle.
Photo : © LPC|DR – Denis Robert, l’écrivain journaliste.