« L’oreille en coin, une forme d’idéal pour moi ! »
Originaire de Lorraine et de passage dans la région, Thomas Baumgartner, journaliste et producteur sur France Culture, s’est prêté de bonne grâce à l’interview de la Plume Culturelle, à l’occasion de la publication de son ouvrage et de son coffret de quatre CD sur l’émission L’oreille en coin. Il évoque, avec passion et enthousiasme, les différentes étapes de son livre qui retrace l’histoire d’un programme de week-end incontournable dans le paysage radiophonique diffusé sur France Inter de 1968 à 1990.
La Plume Culturelle : Comment l’idée vous est-elle venue de faire un livre retraçant l’histoire de L’oreille en coin ?
Thomas Baumgartner : A la base, il y a trois raisons : premièrement, cela fait partie de mes premiers souvenirs de radio et en particulier de L’oreille en coin du dimanche matin qui résonnait dans l’appartement familial entre 9h 30 et 12h 00 mais je n’avais que 12 ans lorsque l’émission s’est arrêtée en 1990 et j’avoue que cela ne m’a pas marqué outre mesure. Deuxièmement, lorsque j’étais en école de journalisme, je me suis prêté à un exercice de portrait écrit en rencontrant Jean Garetto, l’un des deux papas de L’oreille en coin. Je me souvenais aussi qu’il avait été en son temps, directeur des programmes de France Inter et qu’il avait apporté l’innovation dans la programmation de la station. Ainsi, son témoignage m’intéressait sur un point de vue strictement historique dans le monde de la radio. C’est ainsi que j’ai pu rencontrer des personnes qui ont travaillé avec lui et plus particulièrement celles qui collaboraient dans l’émission L’oreille en coin. J’ai constaté la chaleur et la ferveur de ces gens qui m’ont parlé d’une époque où ils avaient appris la radio, une période heureuse où ils se sont fait des amis et des amours. Troisièmement, en fouillant dans les archives de la station et dans celles de l’émission, je me suis rendu compte que la radio représentait pour moi, peut-être à tort, une forme d’idéal.
LPC : À quel moment vous êtes-vous décidé à concrétiser le projet sous forme de livre ?
TB : Vous savez, à force de rassembler toutes ces infos, je me suis retrouvé avec une matière supérieure à ce dont j’avais besoin pour l’article, et j’ai décidé de garder tout cela sous le coude pour le jour où je me déciderais à écrire un livre sur le sujet. Puis en 2004, je me suis retrouvé pigiste avec un peu de temps pour moi, et tout naturellement j’ai décidé de rencontrer, en présentant ces rencontres sous forme d’entretiens, les personnes qui participaient à l’émission, afin d’amasser davantage d’informations sur le sujet. Ce qui était génial, quand j’y repense, c’est que j’arrivais auprès de ces grandes figures de la radio en leur disant que j’étais journaliste et que j’allais écrire un livre sur l’émission. Pour moi d’ailleurs, l’aboutissement du projet ne faisait aucun doute, mais il ne s’est finalement concrétisé, il faut le dire, que depuis un an. En tout cas, à chaque fois, elles me racontaient leur histoire avec chaleur et convivialité.
LPC : Au bout de 17 ans, avez-vous réussi à rencontrer beaucoup de ces acteurs qui avaient joué un rôle dans l’émission ?
TB : Oui, j’en ai rencontré un grand nombre, d’ailleurs des personnes qui ont pour la plupart aujourd’hui entre cinquante et soixante ans et qui me racontaient leurs vingt ans ou leurs trente ans au sein de l’équipe de L’oreille en coin. Pour la plupart d’entre elles, elles bossent encore en radio comme Kriss, Daniel Mermet, Denis Chessou, Marie-Odile Monchicourt ou Paula Jacques qui sont toujours sur l’antenne de France Inter, et qui pour certains ont participé à l’émission jusqu’à la fin en 1990.
LPC : Peut-on définir L’oreille en coin à la fois comme une émission de divertissement pour les auditeurs, une école pour les jeunes animateurs et techniciens et un laboratoire de créativité ?
TB : Oui, tout à fait, avec plusieurs identités ainsi diffusées sur trois demi-journées au plus fort de l’émission : samedi après-midi, dimanche matin et dimanche après-midi. C’était de la fabrication artisanale et en même temps du compagnonnage. Les monteurs, les techniciens et les animateurs savaient se partager des conseils, que ce soit sur la réalisation, sur le montage ou sur le mixage. Ainsi, pendant toute la semaine, des petites séquences étaient élaborées, donc très préparées, très mixées et très montées. Il faut se rappeler que pour l’époque, l’humour des chansonniers était différent de celui d’aujourd’hui surtout sur ce qui touche aux hommes politiques.
LPC : On trouve dans votre livre et dans votre coffret, le récit et le passage audio, dans l’émission, de l’ancien député-maire de Neuilly le 23 avril 1989, qui est l’actuel Président de la République. Un coup d’œil à l’actualité ou un petit plus marketing pour la sarkomania ?
TB : Non, ce n’est pas de la sarkomania ! Mais je me suis dit que cela pouvait intéresser le lecteur qui ne connaissait pas l’émission, car le livre retrace la chronologie d’une émission de radio. Comme toute biographie, elle permet de raconter une histoire : vous n’avez pas connu le bonhomme, vous pouvez vous y intéresser, vous n’avez pas connu l’émission, vous pouvez la découvrir. Pour le coffret, il y a deux raisons : d’une part, mis à part le CD où il y a Sarkozy, sur les trois autres, on n’a pas le rythme général de l’émission car ne passent que des extraits d’émissions, certes des morceaux entiers, que j’ai piochés par-ci par-là dans les archives retrouvées. Mais pour revivre la cadence de l’émission, il faudrait des séquences liées les unes avec les autres. Alors que celle de Sarkozy, comme toutes celles des hommes politiques venus à L’oreille en coin, elle a été archivée par l’INA, et donc j’étais en possession de la totalité de la séquence. D’autre part, je trouve l’émission assez réussie tout en constatant que Nicolas Sarkozy était déjà une bête de communication. Par exemple, lorsque l’équipe l’accueille, quelqu’un lui dit : « Vous êtes jeune (il avait trente-quatre ans et c’était le benjamin des invités de L’oreille en coin), c’est étonnant, en politique les jeunes ont cinquante ans, et vous n’avez que trente-quatre ans » et il répond : « Oui, à cinquante ans on est jeune et à trente-quatre ans en politique on est quasiment à l’état de projet ! » et tout au long de l’émission c’est ce ton qui domine. Aujourd’hui, on ne lui parlerait plus comme cela dans une émission ! Maintenant, on peut critiquer la présence de la séquence en disant que c’est de l’opportunisme ou du marketing, moi je trouve qu’elle présente un intérêt certain qui ajoute quelque chose au coffret. Certes il pourrait ne pas être content, mais pour l’instant, je n’ai pas eu de retour. Alors…
LPC : Comment avez-vous choisi les séquences pour les quatre CD de votre coffret ?
TB : Sur les dix mille heures d’émission, il reste peu d’enregistrements. J’ai tout de même réussi à trouver des bandes grâce à certaines personnes qui collaboraient à l’émission, d’autres n’en avaient plus du tout, et puis j’ai pioché aussi dans le stock de l’INA. Pour la sélection des morceaux, dès le départ j’avais mon idée. Sur les quatre CD, j’en voulais un sur les premières années lorsque l’émission s’appelait TSF 68, 69, 70 et 71 et non L’oreille en coin, et un CD par demi-journée. Ensuite, avec les archives que je possédais, le choix s’est fait assez rapidement grâce à la contrainte, qui a facilité les choses, de ne pas insérer de chansons pour des raisons de droits d’auteur. En tout cas, on y trouve des moments drôles, étonnants et représentatifs de ce que créait l’équipe.
LPC : Pensez-vous qu’aujourd’hui, une telle émission puisse encore exister sur une station publique ou privée ?
TB : De cette ampleur là ? Je ne sais pas. En tout cas, sur France Culture, par exemple, il y a une émission documentaire d’une heure appelée Sur les Docks et diffusée tous les jours, dans laquelle les jeunes peuvent entrer et proposer des sujets. Alors peut-être n’ont-ils pas l’encadrement qu’on pouvait avoir à L’oreille en coin tout en sachant qu’à L’oreille en coin la notion de confiance était prépondérante. Dès le moment où les nouveaux étaient convaincants sur un projet en y mettant les moyens, ils pouvaient se retrouver seuls aux manettes. N’oublions pas que l’émission a duré vingt-deux ans et qu’il faut des années pour construire un concept innovant, alors j’imagine que cela peut encore exister, des émissions-laboratoire. Pour exemple, je travaille à Arte radio.com, bon c’est un site Internet et ce n’est pas une station de radio dite FM, la musique est à la demande et non en flux continu, mais il y a un petit côté « atelier » dans la démarche. On y trouve des objets sonores bien fabriqués, bien montés et très élaborés qui peuvent se rapprocher de ce qui a pu être fait à L’oreille en coin. Évidemment, on ne décalque pas sur des émissions qui ont plus de vingt ans, mais des inspirations similaires existent encore aujourd’hui.
LPC : Avez-vous des idées pour un second ouvrage ?
TB : Non, du tout ! Déjà que cet ouvrage, il m’a fallu trois ans pour le réaliser et aujourd’hui, je jongle entre la gestion de l’émission Place de la toile sur France Culture et ma participation à la webradio Arte radio.com, je ne sais pas si j’aurai le temps d’en écrire un nouveau. En tout cas pas pour l’instant.
LPC : Avez-vous des projets d’émissions ?
TB : J’aimerais bien, sans que cela soit formalisé pour l’instant, rendre un hommage à Gérard Sire, une figure moins présente dans L’oreille en coin mais qui en déborde largement. C’est quelqu’un qui a été un peu oublié et pourtant il a été homme de radio, conteur et également scénariste pour Jean Yanne. Peut-être sous la forme d’une production pour l’émission La fabrique de l’histoire sur France Culture, je ne sais pas encore. Pour la petite histoire, le livre est sorti le 22 novembre 2007 et Gérard Sire nous a quittés le 22 novembre 1977. Sans le vouloir la sortie du livre et des CD ont représenté une sorte de commémoration qui tombait bien pour les trente ans de sa disparition.
LPC : Vous êtes lorrain, passez-vous encore du temps dans la région de votre enfance ?
TB : Oui j’y reviens régulièrement pour voir ma famille car je suis attaché à ma région. J’ai besoin d’y revenir pour me ressourcer, car je vis à Paris pour les besoins de mon travail.
Article publié le 5 janvier 2008 dans le bimédia lorrain La Plume Culturelle.
Photo : © LPC|JML – Séance de dédicaces pour Thomas Baumgartner à la librairie Au carré des Bulles à Metz.