Musique puis littérature… mais où Mell Turbo va-t-elle s’arrêter ?
Après trois albums, dont le dernier « C’est quand qu’on rigole » date de septembre 2007, Mell a décidé de s’ouvrir à d’autres horizons artistiques : la littérature. La jeune chanteuse de 25 ans nous revient avec un recueil de textes où se mêlent autodérision, humour potache et jeux de mots divers. Publié aux éditions Vivrelivre, Qultures réunit 69+1 textes de sa composition. En exclusivité pour la Plume Culturelle, elle se confie à notre journaliste avec vivacité et sincérité.
La Plume Culturelle : Votre nom de scène Mell Turbo est quelque peu original. A-t’il un rapport avec votre personnalité traduit-il une passion quelconque pour la vitesse ?
Mell : Lorsque je me produis pour des concerts, mon nom de scène c’est Mell. Mais pour signer mes textes, j’utilise plutôt Mell Turbo par nécessité puisque, pour la petite histoire, le nom de Mell avait déjà été déposé à la SACEM pour l’étranger. Alors, j’ai dû me creuser les méninges avec un ami écrivain avec lequel on avait fait un must turning pour trouver un autre pseudonyme. Nous avions opté en premier pour Mell Autru, puis le choix s’est imposé pour Mell Turbo. Mais j’apprécie également la vitesse… d’esprit ou la vitesse de la vie ainsi que la vitesse de la voiture ou de la moto même si je ne possède aucun des deux puisque je n’ai pas le permis.
LPC : Après la sortie de votre troisième album, il y a un an, vous publiez un recueil de textes. Une réelle envie d’être reconnue dans l’écriture ?
M : Non, il n’y a pas de prétention franchement littéraire. Il se trouve que j’aime réellement écrire et que parfois, je rédige des textes pour des mélodies et d’autres qui restent orphelins, et que je stocke dans le tiroir… de mon ordinateur. Je ne jette jamais rien. Pour mon deuxième album, nous avions sorti une édition limitée accompagnée d’un recueil de textes, et quand j’ai eu entre les mains la production, j’ai ressenti une émotion intense pour le livre. C’était assez curieux comme sensation ; mais je pense que devant le public, tu te mets vraiment à poil avec tes textes et à ce moment précis, je me suis dit que je referais un autre recueil. Le destin a voulu que je sympathise avec un éditeur parisien au Québec, même si au moment de la rencontre, je ne le savais pas. J’avais sur moi un manuscrit et je m’étais dit que je le donnerais à celui qui, à Montréal, me toucherait particulièrement ; et ce fut lui, l’heureux élu. On s’est revu un mois après et il a décidé d’éditer le livre.
LPC : Qu’est-ce qui vous a inspirée pour écrire cet ouvrage ? Pouvez-vous nous le présenter ?
M : Ça ressemble à l’opuscule La reine des guenons de l’album Voiture à pédales où le lecteur va pouvoir retrouver, entre autres et à travers 70 textes, des poèmes, des aphoristes et des pensées qui s’inspirent de ce que je peux vivre ou entendre dans mon quotidien avec une touche d’autodérision, d’humour potache, de mots crus ou des jeux de mots sous-tendus par l’amour avec un grand A. J’aborde également la politique, sans jamais utiliser la langue de bois, en filigrane tout au long du bouquin. Après chacun d’entre nous peut y voir ce qu’il veut. J’aime quand les mots ouvrent des portes à chaque fois différentes pour les lecteurs. Un aperçu du monde tel que je le vois et que je l’imagine car celui dans lequel je vis ne me plaît pas vraiment, alors j’utilise la dérision pour m’en moquer.
LPC : Comment avez-vous procédé pour l’écriture de votre manuscrit ?
M : J’avais tout d’abord un premier titre pour ce recueil, La culture avec un gros Q, mais en cherchant quelques infos sur internet, je me suis rendu compte que c’était assez éculé (…si l’on peut dire). Alors avec mon éditeur, nous avons choisi Qultures qui m’a inspirée et du coup j’ai rédigé 69 textes en y rajoutant un peu plus tard un 70ème avec l’amour est un gros tas. Ensuite, pour ce qui concerne l’inspiration, j’ai la chance d’exercer un métier qui n’a pas d’horaires, et d’ailleurs je n’aime pas m’en imposer. Je suis assez du matin et j’aime me lever tôt même si je me couche très tard la veille sinon j’ai l’impression d’avoir perdu la journée si je rate un matin. Toutefois, j’essaye d’avoir une bonne hygiène de vie intellectuelle en écrivant tous les jours même si tous les brouillons ne sont pas bons à garder. C’est une dynamique que je m’oblige à conduire car le cerveau est un muscle et il faut l’entraîner. N’ayant pas eu un cursus littéraire et n’étant pas allée en faculté, j’ai l’impression d’être un imposteur mais avec du travail, mon style évolue et je progresse.
LPC : Comment avez-vous commencé à écrire ?
M : A une certaine époque, j’avais un manager qui s’appelait Joe Ravioli de qui j’étais très proche et qui a su très vite déceler en moi l’envie d’écrire. Cette envie-là, je ne l’aurais pas concrétisée toute seule car cela me paraissait trop éloigné de mon univers musical et trop prétentieux. Joe m’a aidée à mettre en forme et en mots ce que j’avais plus ou moins comme idée dans la tête. D’ailleurs, c’est lui qui a pu rendre possible ce projet d’objet avec le bouquin La reine des guenons et le CD Voiture à pédales.
LPC : Un troisième opuscule en préparation ?
M : J’ai plusieurs recueils de textes qui traînent chez moi, et il y en a un que je souhaite particulièrement publier car il me tient à cœur. Le tapuscrit a été tapé sur une Remington portative, trouvée lors d’un de mes chinages à Paris, et contient deux tomes. Le titre, c’est Je suis une machine à écrire. Je trouve l’objet très beau et placé devant toi, il ne te laisse pas indifférent, tu as envie de rédiger quelque chose sur le papier. La machine à écrire reproduit à l’identique l’humeur que tu exprimes au moment de la composition. Si tu es énervé, cela te fait des pâtés avec des lettres plus grasses sur la feuille, au contraire, si tu l’effleures à peine, la lettre est peu lisible. Il existe une réelle interactivité entre toi et l’objet, alors qu’avec l’ordinateur, le contact est si froid et insensible ! Si par hasard tu veux inventer un mot, le logiciel va te le souligner en rouge pour t’informer que le terme n’existe pas. La machine à écrire, c’est la liberté !
LPC : Pas envie de vous attaquer à un roman après les textes ?
M : Non, pas pour l’instant, dans ma tête je n’en suis pas encore là. Je ne suis pas prête à me lancer dans un projet qui peut prendre des années de travail ou de maturation. Un jour pourquoi pas… peut-être ! Pour l’instant, si je compose des textes courts et des chansons c’est que j’aime l’immédiateté. En revanche, en ce moment je commence à écrire des nouvelles, alors peut-être est-ce une étape nécessaire avant un roman, qui sait ?
LPC : Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre album « C’est quand qu’on rigole » ?
M : C’est un album qui a été réalisé dans des conditions assez particulières car au moment même où je me séparais de ma batteuse et de mon bassiste de l’époque avec lesquels j’ai bossé depuis le début de ma carrière, le groupe et moi-même quittions un label nancéen indépendant pour un plus grand et parisien. A cette époque, quand j’ai écrit les textes j’étais un peu dans le flou, mais ensuite nous avons été bien encouragés par la nouvelle structure. Avec Édouard Romano, mon trompettiste de scène et l’acolyte qui m’a aidé aux arrangements et à la direction musicale de l’album, nous avons remonté un groupe avec lequel nous avons répété un peu partout et durant des heures pour nous perfectionner. Ça a demandé un gros travail en amont et d’ailleurs ce travail-là, je ne l’avais jamais entrepris auparavant. En tout cas pour moi, ça a été une vraie prise de conscience professionnelle du métier de studio, car j’ai pu voir la différence avec la scène.
LPC : Pourquoi avez-vous choisi pour l’album un nom pareil ? Est-ce à cause de la morosité que la société renvoie ou trouvez-vous le monde si triste ?
M : Déjà, je n’ai pas voulu de ponctuation à la fin de la phrase de titre pour que chacun puisse y ajouter ce qu’il veut. Si tu veux un point d’interrogation ou d’exclamation, ou trois petits points, tu as le choix. Je n’ai pas voulu influencer la pensée de l’auditeur. Et puis l’album est sorti quatre mois après les élections présidentielles et j’ai donc vécu, durant la période d’écriture de mes textes, la campagne électorale et la morosité ambiante. C’était glauque ! Il y a de l’ironie à tout cela et une réponse à l’album des Têtes raides Qu’est-ce qu’on se fait chier… C’est quand qu’on rigole. Je trouve qu’en France, la société pousse à l’individualité. On se retrouve tous à sauver sa barque en oubliant peut-être de rigoler ensemble car les autres ou l’échange, c’est quelque chose d’aussi important que la communauté.
LPC : Des messages en filigrane à faire passer à travers votre album ?
M : Oui, je pense en particulier à ce titre complètement débile (rire) qui s’intitule Yeah yeah yeah ouh ouh qui est une chanson engagée mais dans laquelle on ne s’en rend pas compte au premier abord. Tu vois, moi je n’ai pas envie de décrire les choses bêtement, plutôt avec ironie et cynisme. Comme je te l’expliquais avant sur la signification du titre de l’album et le contexte de la morosité de la société, c’est également une chanson d’amour mais avec une ouverture sur des problèmes existentiels.
LPC : Quelques titres de votre dernier album sont dus à des inspirations de dernière minute durant l’enregistrement. Pourquoi des improvisations ?
M : Quand tu te retrouves dans un beau studio d’enregistrement situé à Paris avec du matériel et des assistants, qui te mettent à l’aise, et que tu peux jouer avec ton groupe, dans une pièce qui a la capacité d’accueillir un orchestre symphonique, tu t’y sens bien. Et durant les périodes de pauses, on jouait des petits bœufs entre nous, car on aime bien jouer ensemble et essayer de nouveaux accords. Un soir où nous avions bu un ou deux verres, nous avons joué un titre qui s’appelait Las Vegas, dont la mélodie est assez rapide, et qui n’était pas du tout prévu au programme. On avait décidé d’en faire une version lente style Otis Redding et le technicien en cabine, qui était assez vif d’esprit, a appuyé sur le bouton d’enregistrement sans que nous le sachions. Nous avons décidé de garder le morceau sur l’album car c’est aussi ça la musique, capter le moment quand c’est possible, surtout lorsque les bonnes conditions sont réunies. C’est un souvenir ! Un peu comme une photographie qui est belle mais qui a un petit défaut pour le photographe, ce n’est pas pour autant qu’elle ne donne rien.
LPC : Pouvez-vous nous raconter la rencontre que vous avez eue avec Christian Olivier, des Têtes Raides, qui gère le label Mon slip et diffuse votre album ?
M : Ça a été un tournant pour ma carrière cette rencontre. Comme quoi il ne faut jamais négliger les concerts dans les trous paumés où il n’y a pas grand monde. Il se trouve qu’il y a deux ans, je me produisais dans une salle de spectacles appelée la Cigale, à Nyons dans la Drôme, et tenue par la femme du saxophoniste du groupe. Elle a aimé ce que je faisais et elle a passé mon cd à son mari. Peu de temps après, les membres des Têtes Raides nous ont appelés pour jouer un titre dans une compilation qui devait s’appeler KO social mais qui n’est malheureusement jamais sortie. Ensuite, ils m’ont demandé des maquettes, et comme le courant est bien passé entre nous, le groupe a réalisé C’est quand qu’on rigole. Pour quelqu’un de très occupé, Christian Olivier a été très présent pour nous et ça a été très agréable. Et puis avec lui, tu apprends énormément. J’ai à peine 25 ans et lui, il en a vingt de plus, et une grande expérience du métier à partager.
LPC : Le style musical que vous adoptez dans vos chansons est, selon vos propres propos, assez décoiffé. Que voulez-vous dire par là ?
M : Eh ! bien, cela se voit déjà par ma coupe de cheveux que mes chansons sont décoiffées (rire). C’est tout simplement une étiquette que je me suis collée il y a deux ans avec mon manageur, afin de prendre de vitesse toutes ces histoires d’étiquettes, car dès que tu commences à écrire des textes en français sur des mélodies quelconques, on te bazarde dans le bac Nouvelle scène française où on trouve un peu de tout et du n’importe quoi. Je pense que c’est surtout prévu pour les médias, et c’est au public de coller une étiquette sur les artistes afin de les cataloguer. Il y a des personnes qui jouent depuis vingt ans et qui sont considérées comme étant de la Nouvelle scène française… on devrait plutôt dire qu’elles font partie de l’ancienne scène française, cela serait plus approprié.
Article publié le 5 septembre 2008 dans le bimédia lorrain La Plume Culturelle.
Photo : © LPC|Lily|Montage de la rédaction – Mell: « J’aime quand les mots ouvrent des portes à chaque fois différentes pour les lecteurs. »