Autocensure, censure et aseptisation !
Pour vous dire la vérité, je ne savais pas comment aborder le sujet de cette nouvelle chronique. Certes, il me trottait dans la tête mais j’avais à maintes reprises repoussé l’échéance car son thème m’exaspérait depuis un moment. Devrais-je plutôt écrire… m’inquiétait depuis longtemps en tant qu’auteur. En tant qu’artiste libre. Néanmoins, je m’y suis mis le premier jour de l’été (n’y cherchez pas un symbole, il n’y en a pas) pour exprimer ce que je ressentais et j’ai écrit un premier jet. Ensuite, j’ai appliqué une première couche d’autocensure sur mon texte quand tout à coup, une petite voix dans ma tête me hurla :
— Mais oui Jean-Michel, vas-y autocensure toi ! Fais le travail des censeurs ! Alors que tu devrais plutôt lobotomiser leur misérable cerveau ! Provoquer les adeptes de la pensée unique et du politiquement correct avec des thèses anticonformismes, voilà ce que tu devrais entreprendre. Au lieu de cela, tu appliques du lissage intellectuel et de l’aseptisation culturelle. Tiens, lis-leur donc Américan Psycho (Et pourquoi pas !) pour que leurs poils se hérissent ! Quant aux moralistes bigots frigides ? Dis-leur que ce ne sont que des petites filles coincées d’un autre temps ! N’oublie pas d’égratigner aussi les personnes bien-pensantes ! Tu verras quand elles se retrouveront en face de toi, toi muni de roubignolles osant dire ce que tu penses, ça va leur faire tout drôle ! Dis-moi, tu ne les as pas oubliées dans le tiroir de ta table de chevet au moins ?
Puis la voix s’est tue. Je ne l’ai plus entendu. Mais c’est la vôtre que j’imagine me dire en cet instant :
— Eh bien Jean-Michel que t’arrive-t-il ? Un petit moment d’égarement ? Allez ce n’est pas bien grave, il te suffit d’appuyer sur la touche retour arrière et tu vas nous effacer tout le premier paragraphe ci-dessus. Tu verras, c’est aussi simple que ça ! Et puis ton dialogue, il n’est pas terrible !
Après moult réflexions, je peux vous dire que c’est bon de se lâcher et de rédiger ce qu’on veut exprimer sur le papier tel qu’on le pense réellement et sans pratiquer l’autocensure. Terme d’ailleurs despotique puisqu’il remplace au final l’action de censure par une tierce personne. Pourquoi en suis-je venu à rédiger des propos stéréotypés avec des mots aussi virulents ? La lecture (en retard) de quelques magazines posés sur mon bureau prenant la poussière : Le Un n° 286, Faut-il purifier la culture ? Ou encore Charlie Hebdo n° 1433, Nouvelles censures… Nouvelles dictatures. Les articles m’ont excédé. Je ne les ai pas terminés. Cerise sur le gâteau : j’ai parcouru quelques chroniques et piges concernant les « sensitivity reader ». En bon français, des lecteurs en sensibilité que les maisons d’édition américaines embauchent pour lire les tapuscrits des auteurs. Et que font-ils ces braves lecteurs censeurs ? Ils expurgent les textes de ce qu’ils considèrent comme offensant ou choquant pour les minorités sexuelles, ethniques, culturelles ou pour une partie de l’opinion. Objectif sous-jacent : éviter le débat, la réflexion ou la polémique car le livre n’est plus un objet artistique par lequel le lecteur se cultive en se divertissant. Aujourd’hui, le livre est un simple produit commercial à l’instar d’une boîte de conserve… alors il faut le rendre le plus neutre possible et sans aucune originalité. Pas de vague mon ami !
Bret Easton Ellis, invité dans l’émission Le Temps des écrivains par Christophe Ono-dit-Biot, sur France Culture en mai 2019, avouait que son troisième livre, Américan Psycho, ne serait plus publié de nos jours car selon lui, « le sexisme, le racisme des personnages ne seraient plus acceptables ». Sidérant ! Je fus accablé par ce que je venais d’entendre. Je pensais que dans nos régimes démocratiques, l’écrivain était libre d’exprimer par l’écriture le contenu de sa création sans se préoccuper de l’éditeur, des lecteurs ou des médias ? Un autre exemple que je voulais relever : Il y a une nette différence entre un Gabriel Matzneff, écrivain français, racontant sa vie sexuelle avec des adolescent(e)s dans des ouvrages autobiographiques, les qualifiant lui-même de journal intime, et un romancier comme Vladimir Nabokov avec Lolita. Pour le premier, ses protagonistes sont constitués de chair et de sang avec une existence. Quant au second, les siens ne sont composés que de papier et d’encre sortis tout droit de l’imagination de son auteur. De même si mon personnage est un sadique officier nazi et qu’il profère des propos antisémites, sa parole est conforme à ses convictions tant que cela reste dans le cadre de l’histoire. En revanche, les écrire dans un essai politique ou dans un pamphlet, ce n’est plus la même chose. Le roman fictionnel est une œuvre dont l’histoire n’a jamais existé dans la réalité. Tout au plus, l’auteur s’inspire d’un fait sociétal, historique, économique, que sais-je encore, pour la rendre plus crédible. Dois-je aussi appliquer l’autocensure ou admettre la censure sur mon tapuscrit ? Oh que non mon ami !
Après la censure ou l’autocensure pourquoi ne pas aseptiser les œuvres des auteurs du milieu du XXe siècle ? Les rendre plus acceptables pour la ligne de la bien-pensance actuelle. Par exemple, ne faudrait-il pas dans les romans la Chute et la Peste d’Albert Camus remplacer le mot « nègre » (Un terme utilisé dans le dialogue de deux protagonistes) par « habitant de l’Afrique subsaharienne » ? Où devrions-nous apposer sur la couverture de ces livres une mention explicative : « Ceci est une représentation culturelle datée du XXe siècle avec des expressions qui peuvent choquer le public non averti » ? L’égarement peut aller loin dans l’absurdité intellectuelle. L’ouvrage rédigé par l’auteur est une trace écrite. Une sorte d’image à l’arrêt d’une époque révolue où les mœurs et les idéaux divergeaient des nôtres. Dans ces conditions, devons-nous mettre au pilon ces ouvrages car n’étant plus conformes à la pensée du XXIe siècle ou pour effacer les traces des erreurs du passé ? Non mon ami, cela ne changera pas l’avenir !
Alors arrêtons de vouloir censurer à tout va et sachez qu’en tant que poète, je ne laisserai pas un quelconque diktat m’imposer la manière dont je dois penser ou créer et encore moins me laisser m’appliquer de l’autocensure. Tout est dit mon ami !