En 2020

Ma dernière chro­nique, je la dédie à Pierre Aubert

Il y a quelques semaines, je déci­dai d’ar­rê­ter la publi­ca­tion de mes chro­niques sur mon blog. Je ne voyais plus l’in­té­rêt de leur exis­tence sauf peut-être pour mon ego. Mais la réalité est tout autre : je ne tenais jamais le rythme, l’exer­cice était quelque peu chro­no­phage et pire, je n’étais jamais inspiré. Encore s’ils avaient été publiés dans une revue under­ground, peut-être cela aurait-il pu me moti­ver pour conti­nuer ? Quoi qu’il en soit, je ne pensais pas en écrire une dernière en cette fin d’an­née pour la dédier à un ami artiste. Je l’es­ti­mais beau­coup et malheu­reu­se­ment j’ai appris son décès la veille de Noël.

Alors voilà Pierre, tu étais un sacré bonhomme et tu nous laisses un sacré vide. Nous deux, nous nous sommes connus il y a onze ans lorsque je gérais à cette époque un maga­zine cultu­rel. Nous nous étions vus plusieurs fois dans un cadre stric­te­ment profes­sion­nel. Dans l’une des deux enseignes de grands maga­sins pari­siens implan­tée à Metz, tu orga­ni­sais des expo­si­tions d’ar­tistes locaux. Tu souhai­tais que l’art contem­po­rain soit acces­sible à tous et dans des lieux commer­ciaux. Déjà dans ton concept, il y avait un acte mili­tant. C’était tout toi. Puis notre rela­tion évolua pour deve­nir amicale vers la fin 2015 quand je déci­dais de m’in­ves­tir corps et âme dans l’écri­ture.

J’ai encore en tête cette sata­née année 2016. Un millé­simé comme nous les aimions tant : une histoire de cœur à la con qui m’avait déglin­gué  le cœur et la santé en plus d’être fauché. J’étais au plus bas et au plus mal mais tu m’as tendu la main quand j’en ai eu besoin car tu étais géné­reux. Et pendant ce temps, tu menais déjà un combat, celui de vaincre le crabe perfide qui rongeait petit à petit ta grande carcasse. Durant quelques mois et jusqu’à mon départ à Paris en 2017, je te filais un coup de main comme secré­taire et je gérais aussi tes soucis d’in­for­ma­tique. Et dieu sait qu’il y en avait. Faut dire que l’in­for­ma­tique et toi, ça n’a jamais fait bon ménage. Une anec­dote me revient : une après-midi, tu m’avais appelé en m’in­for­mant que ton impri­mante ne fonc­tion­nait plus et que je devais t’en rache­ter une nouvelle avant de passer te voir. Encore sous garan­tie, je m’étais enquis de cette préten­due panne. Il s’était avéré que ce n’était que les cartouches le problème. Elles étaient vides mais tu ne savais pas les chan­ger. Tu m’avais répondu avec une voix blasée que c’était bien trop tech­nique pour toi et que c’était une perte de temps, l’in­for­ma­tique.

Dans mon esprit, je te revois couché sur ton lit, à cause de ton mal de dos ou après une séance de chimio, tout en fumant tes ciga­rettes rigo­lotes — c’est ainsi que tu aimais les surnom­mer ; elles te permet­taient de moins souf­frir —, tu me dictais ton cour­riel que je tapais avec dexté­rité sur ton ordi­na­teur. Plusieurs fois, je tentais vaine­ment de t’ex­pliquer comment fonc­tion­nait un trai­te­ment de texte mais tu balayais d’un revers de main mes propos puis tu me répon­dais : « Écoute Jean-Michel, j’ai connu l’époque où j’avais une secré­taire qui tapait mon cour­rier à la machine à écrire avec du carbone alors tu sais l’in­for­ma­tique, vrai­ment ce n’est pas mon truc. Je te laisse gérer ça ! Et puis tu tapes vite, c’est parfait pour moi. »

Dans ton cerveau four­millaient mille et une idées et des projets sur l’art funé­raire. Tu m’en parlais avec convic­tion car tu t’étais penché sur le sujet depuis un quart de siècle, toi l’ar­tiste plas­ti­cien perfor­meur. Mais tu te consi­dé­rais plutôt comme un sépul­teur (contrac­tion de sépul­ture et sculp­teur) construi­sant des œuvres funé­raires uniques (photo de la chro­nique : une tombe surplom­bée d’un panneau de limi­ta­tion de vitesse à 200 km/h au cime­tière de Moulins-Lès-Metz, Moselle). Ça, c’était ton truc. Donner de la couleur à la mort et person­na­li­ser sa dernière demeure. En 2017, j’avais parti­cipé modes­te­ment à ton projet de créa­tion de société mais depuis quelques mois, ta moti­va­tion n’était plus au rendez-vous. Affai­bli, tu m’avais annoncé au télé­phone : « Travailler sur l’art funé­raire alors que la mort rôde autour de moi, ça ne m’aide pas vrai­ment à garder le moral. » Mais de manière régu­lière, à la période de la Tous­saint, tu avais grand plai­sir à en parler dans la presse locale.

Toi à Metz et moi à Paris, nous nous appe­lions trois à quatre fois par an. Tes séjours à l’hô­pi­tal étaient deve­nus récur­rents, cela deve­nait même banal. Une norma­lité depuis 2017 mais tu ne te plai­gnais jamais. D’ailleurs, tu détes­tais la rituelle phrase « Salut, comment vas-tu ? » Parfois au télé­phone, tu me disais : « Que veux-tu que je réponde à cela quand les gens me posent la ques­tion ? Que j’ai un Cancer et que tout va bien ? Je n’ai pas envie de racon­ter ces mêmes histoires en perma­nence et encore moins à m’api­toyer sur mon sort ! »

Pour commu­niquer sans te déran­ger, je t’en­voyais parfois des SMS. Nous avions défini un code : j’écri­vais « Salut » puis toi, soit tu envoyais un smiley avec un pouce vers le haut quand ça allait pour toi, soit un autre avec le pouce vers le bas quand ce n’était pas la grande forme. Pas un mot mais une pensée pour l’autre. Et j’étais rassuré, tu étais encore parmi nous. Toute­fois, tu ne répon­dais jamais à mes cour­riels car pour cela il aurait fallu utili­ser le clavier de ton ordi­na­teur et par consé­quent rédi­ger un texte. Tu préfé­rais les appels télé­pho­niques car il y avait de l’in­te­rac­tion. Mais je devais oublier les WhatsApp, Messen­ger & Cie pour les appels car il aurait fallu pour cela que tu te serves de l’in­for­ma­tique ou des appli­ca­tions pour les smart­phones. Eh oui, tu avais ton petit carac­tère bien trempé.

Ton dernier SMS du 6 novembre 2020 n’était pas très gai. Comme à l’ac­cou­tu­mée, je ne me suis pas davan­tage inquiété : « Suis posi­tif (Covid-19) avec quelques jours hospi­ta­li­sés. C’est le bordel. Te tiens au jus ». Il y a eu la prépa­ra­tion de ma commu­ni­ca­tion pour la sortie de mon deuxième livre et le temps a filé. Il y a cinq jours, je t’ai appelé sur ton portable pour avoir de tes nouvelles et pour te souhai­ter de bonnes fêtes de fin d’an­née. Une tradi­tion depuis mon départ à Paris où nous aimions commu­niquer durant plus d’une heure. Mais au lieu d’avoir à l’oreille une tona­lité, ta messa­ge­rie vocale ou ta voix, j’ai eu droit à celle fémi­nine et robo­tique de  ton opéra­teur : « Bonjour, Orange vous informe que le numéro demandé n’est pas attri­bué ». Ma petite voix inté­rieure me rappela que lorsque j’avais envoyé, il y a deux semaines, ma news­let­ter à mes contacts, j’avais reçus une noti­fi­ca­tion pour ton adresse m’in­diquant, dans un anglais tech­nique, que ta boîte mail n’était plus acces­sible. Cela ne présa­geait rien de bon. Mais j’ai refoulé cette infor­ma­tion.

Erreur pour nous deux, c’est que nous n’avions aucun amis en commun. Nous avions des sphères profes­sion­nelles et amicales bien distinctes. Le 24 décembre au milieu de l’après-midi, par le biais d’une connais­sance de mon ancien réseau jour­na­lis­tique messin, j’ap­pris la désa­gréable nouvelle. Tu nous avais quitté. Seul récon­fort dans ma tris­tesse, je t’avais revu une dernière fois en chair et en os l’été dernier à Metz. À ce moment-là, j’avais ressenti un mauvais présen­te­ment. L’in­tui­tion que c’était peut-être la dernière fois que nous nous voyions. Nous buvions sur la terrasse d’un bar quelques Picon bières et tu étais heureux de me revoir, je le compris à ton sourire.

Tout un coup, le réveillon de Noël n’eut plus la même saveur. Je profi­tai des petits fours, du repas, des vins et du cham­pagne. Moi j’étais vivant et je devais profi­ter de l’ins­tant présent. La vie devait conti­nuer. Quant à toi Pierre, tu étais dans un cercueil. Entre quatre planches sous deux mètres de terre froide à Metz. Durant la soirée, ce fut cette image que j’eus de toi tour­nant en boucle dans ma tête. Il y a encore peu, ton cœur battait et les vais­seaux irri­guaient ton corps de sang : la vie s’in­suf­flait en toi. Main­te­nant ton enve­loppe char­nelle se décom­pose.

Nous sommes si peu de chose ici-bas. De l’éphé­mère molé­cu­laire. Je te pleure mais je me remé­more les bons souve­nirs que j’avais de toi. Tu es mort le 8 décembre dernier, le jour où mon deuxième ouvrage poétique est paru dans les librai­ries. Drôle de coïn­ci­dence. Hasard du temps ou synchro­ni­cité ? Peut-être tout simple­ment un pied de nez face à la mort. Impos­sible de savoir, impos­sible d’ou­blier la symbo­lique de cette date. En tout cas, je te dédie Un jour, la Mer était bleue.

Au revoir Pierre.

Ce site utilise des cookies techniques et tiers pour fournir certains services. En poursuivant votre navigation, vous autorisez leur utilisation Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer