Avec les vinyles, je passe du fast listening au slow listening
Nom d’une pipe, je me souviens de la scène comme si elle avait eu lieu hier soir. Assis en tailleur sur le sol de ma chambre, je suis en train de me prendre la tête avec une brosse en fibre de carbone pour enlever toute la poussière se trouvant sur la surface d’un 45 tours. Et je la passe une première fois dans le sens contraire de l’aiguille d’une montre puis une seconde fois avec cette fois-ci, une rage perceptible par la nervosité de mes gestes et la crispation de mon visage. Il reste encore des particules de poussière. Dépité, j’insère tout de même dans le mange-disque rougeâtre le vinyle et l’unique haut-parleur crache tout ce qu’il peut et tout ce qu’il a dans ses tripes. J’entends encore la mélodie stridente avec en fond sonore, les craquements et les crépitements de la galette. J’enrage ! Maniaque, je n’aime pas la poussière et encore moins l’imperfection du son. Ce qui devait être un plaisir pour les oreilles devient un vrai calvaire. Voilà donc mes premières expériences avec le vinyle.
Un peu abrupt le souvenir qu’il me reste de la fin de règne du vinyle dans les années quatre-vingt lorsque je n’étais qu’un adolescent. Effectivement, je n’avais pas le matériel adapté pour évaluer la qualité de l’écoute de la galette noire. Mais de toute façon, il laissait sa place au Compact-Disc. On ne jurait plus que par lui. J’avoue que pour la qualité du son, quel bonheur de ne plus entendre ces foutus crépitements dus à la poussière. Mais le charme et la beauté de l’objet en main disparaissaient définitivement. Le format uniformisé du CD avec son étui en plastique n’était pas du tout attrayant. Quant à la mise en page graphique des pochettes en papier glacé, à l’intérieur des étuis, le résultat fut souvent décevant alors que sur le 33 tours, bien plus grand par sa taille, nous pouvions être en face de vrais chefs-d’œuvre. Puis au début du XXIe siècle, la dématérialisation de la matière est devenue à la mode. Terminé les disques optiques, vive les fichiers MP3 sur le disque dur de nos ordinateurs. Maintenant, nous pouvons carrément écouter tous nos tubes en streaming.
Alors non, je ne vais pas écrire la phrase que tout le monde redoute : « C’était mieux avant ! » Franchement non, aucune nostalgie ! J’adore entendre tous les morceaux de mes groupes préférés sur les plateformes de streaming chez moi, dans la rue ou dans le métro et créer des playlists de mon choix. Néanmoins, notre façon de consommer la musique a bien changé depuis deux décennies. Aujourd’hui, nous zappons les titres de manière convulsive. Moi le premier ! Nous ne prenons plus le temps d’écouter tranquillement un morceau. Non, nous l’ingurgitons sans le savourer, du vrai fast listening ! Depuis peu, j’ai décidé de redécouvrir le slow listening en reprenant de bonnes habitudes. Par exemple, je m’accorde des plages horaires pour la musique et je rematérialise l’œuvre musicale par l’objet avec le vinyle.
Pour être franc, je n’imaginais pas revenir à mon âge aux disques microsillons et pourtant. Avec une bonne platine, un ampli et des haut-parleurs, je suis en train de me constituer une vinylothèque avec de sacrés bons vieux 33 tours. Certes, pour tous les groupes ou les artistes solos que j’affectionne et n’ayant jamais sorti d’albums vinyles, puisqu’ils n’étaient pas encore en activité dans les années quatre-vingt, j’achète des galettes neuves. Itou pour les albums actuellement en bac. En revanche, pour ceux pressés pendant la seconde moitié du XXe siècle, je privilégie les 33 tours d’époque plutôt que les rééditions actuelles car tu peux avoir entre les mains un objet qui a peut-être trente, quarante ou cinquante ans d’existence. D’autre part, tu as tout un cérémonial à respecter pour mériter l’écoute de tes chansons : allumer la platine, poser le disque, placer délicatement le bras pour que le diamant rencontre les premiers sillons. Et ensuite, tu apprécies la sonorité chaude de la mélodie sortant des haut-parleurs avec ce léger crépitement ou ce petit craquement provenant du vinyle (pas trop non plus !). Ainsi, tu prends le temps d’écouter un disque en entier sans changer de pistes toutes les dix secondes. Oui, tu te poses et tu en profites pour créer ta bulle. Savoure la vie !
Au fait, qui était le mec qui maugréait contre la poussière, la brosse en fibre de carbone, les disques vinyles et les imperfections de sonorité ?