En 2019

L’écri­ture est un don inné !

Fran­che­ment sans rire, vous pensez que l’écri­ture est un métier pour lequel il vous faut travailler sans comp­ter et de manière métho­dique pour amélio­rer la stylis­tique de vos textes ? Et qu’il suffit de vous armer de patience pour rédi­ger vos phrases, les recti­fier, peut-être de les biffer voire les suppri­mer pour ensuite en réécrire d’autres ? Suggé­rez-vous déte­nir une foi inébran­lable sur vos capa­ci­tés intel­lec­tuelles pour mener à bien votre projet jusqu’à son terme ? Ressen­tez-vous de la fierté en reli­sant votre produc­tion litté­raire termi­née après tant d’an­nées de travail ? Et puis arrê­tez de me faire croire que vous prenez du temps, chaque fois que vous le pouvez, pour lire quelques ouvrages litté­raires d’au­teurs clas­siques ou contem­po­rains ! Je n’en crois pas un mot !

   Comme pour la majo­rité des Français et l’in­tel­li­gent­sia de notre pays, l’écri­ture est un don inné ! Combien de fois faudra-t-il vous le rappe­ler ? Cette apti­tude se balade dans les gènes de quelques semblables de géné­ra­tion en géné­ra­tion et qu’il suffit de l’ac­ti­ver, grâce à un déclen­cheur émotion­nel ou senti­men­tal, pour deve­nir un Proust, un Hugo, un Zola, un Rimbaud, un Apol­li­naire, un Camus ou encore un Bukowski. Bon, pour le dernier, j’avoue il faut aussi des prédis­po­si­tions à la picole (comprendre possé­der un bon foie et une bonne descente en alcool en tout genre), sinon oubliez l’ob­ten­tion du label « auteur alcoo­lique ».

   Toute­fois, vous pouvez propo­ser votre candi­da­ture pour d’autres caté­go­ries exis­tantes : auteur maudit, auteur fauché, auteur en panne d’ins­pi­ra­tion, auteur engagé, etc. Quoi qu’il en soit, dans le pays des Lumières et de la consé­cra­tion des prix litté­raires – un peu plus de deux mille dans l’hexa­gone (j’avoue que je ne les ai pas comp­tés, c’est mon ami Google qui me l’a dit…) –, il est incon­ce­vable que vous, pauvre mortel, puis­siez ne serait-ce qu’un instant vous imagi­ner accé­der un jour à l’im­mor­ta­lité au sein de l’Aca­dé­mie française sans ce don de l’écri­ture.

   Et voilà que vous venez me parler d’ate­lier d’écri­ture ! Un procédé venu d’Outre-Atlan­tique dont l’objec­tif prin­ci­pal est de permettre aux rêveurs d’ap­prendre de manière ludique à rédi­ger des histoires en tout genre. Une struc­ture qui ensei­gne­rait à manier la langue française, non pas pour rédi­ger des disser­ta­tions, des commen­taires de textes, des Curri­cu­lum Vitæ mais pour déve­lop­per son imagi­naire et exté­rio­ri­ser son contenu avec des mots. Avez-vous des noms d’au­teurs améri­cains connus ayant démarré une carrière litté­raire grâce à ces ateliers ? OK, T.C. Boyle, Philippe Roth ou Raymond Carver entre autres !

   Et puis en France, il y a de moins en moins de lecteurs de litté­ra­ture mais de plus en plus d’au­teurs. Croyez-moi, cela ne sert à rien d’écrire des romans si personne ne les achète ! Et que dire de la poésie ? Seul un pour cent de ces lecteurs en lise. Alors le futur Rimbaud travaillant sans relâche sur ses poèmes, il a inté­rêt d’être un génie s’il n’a pas cette prédis­po­si­tion natu­relle dans son esprit ! Comment ça, j’amal­game ? Alors vous, vous êtes de mauvaise foi !

   Si je vous comprends, vous êtes donc parti­sans des ateliers acces­sibles au grand public voire consi­dé­rer ce procédé comme une matière à ensei­gner à l’uni­ver­sité ? Vous n’y pensez pas ! Non, je vous le répète, en France, l’écri­ture est un don inné ! Deman­dez autour de vous, vous verrez que je ne suis pas le seul à le penser. Par ailleurs, il n’y a pas que l’écri­ture qui soit un don inné, c’est aussi le cas pour le dessin, la pein­ture, la musique ou le sport. Tout est une ques­tion de gènes !

   En effet, prenez l’exemple du dessin et deman­dez à un adulte (hormis à un déten­teur du don du dessin) d’esquis­ser quoi que ce soit sur une feuille vierge. Celui-ci refu­sera d’ef­fec­tuer la tâche en prétex­tant qu’il ne sait manier le crayon. Encore moins si tous ses amis « sans gènes » (oui, oui, vous pouvez rempla­cer le mot par celui-ci : sans-gêne. C’est aussi permis !) s’ag­glu­tinent autour de lui et deviennent en un tour de main critiques d’art mais sans les compé­tences adéquates. (Pareil qu’au foot ! Soixante millions de Français qui deviennent sélec­tion­neur pour consti­tuer l’Équipe de France.) En revanche, pour celui ou celle qui détien­drait dans son ADN, ces gènes qui favo­ri­se­raient ce don, les témoins de la scène s’ex­cla­me­raient d’une manière blasée et avec une petite pointe de jalou­sie : « Oui bon d’ac­cord, il a un sacré bon coup de crayon mais c’est normal ! Depuis qu’il est tout petit, il dessine ! » Vous dites ? S’il passe des heures entières à effec­tuer des croquis ou s’il s’exerce dans cette matière artis­tique ? Ma foi, je n’en ai aucune idée… moi je ne suis pas dessi­na­teur mais poète !

   Cepen­dant, je dois recon­naître une chose sur un point ! Même pour pondre ce texte rempli d’a priori et de préju­gés sur l’écri­ture, il m’a fallu des heures de concen­tra­tion et d’achar­ne­ment pour que cela soit lisible. Même pas sûr que ma chro­nique soit lue ! Faudrait-il déjà qu’il y ait des lecteurs sur Inter­net ! Mais alors ? C’est un vrai travail, un vrai inves­tis­se­ment person­nel ? On ne devient pas écri­vain en un claque­ment de doigts ? (Je reste sans voix.) Bon allez, moi je vous laisse, je vais me poser genti­ment dans un fauteuil douillet et vision­ner un film sur une plate­forme vidéo. Moins fati­gant et moins prenant intel­lec­tuel­le­ment ! Écri­vain ? mais quelle idée j’ai eue !

   Comme vous avez lu la chro­nique jusqu’au bout, lisez cet article inté­res­sant d’Éli­sa­beth Philippe datant du 21 avril 2013 dans Les Inrocks => Peut-on apprendre à deve­nir écri­vain ?

Ce site utilise des cookies techniques et tiers pour fournir certains services. En poursuivant votre navigation, vous autorisez leur utilisation Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer