Oh là là ! Moi, je dis ça, je dis rien !
Week-end fatiguant, week-end éreintant mais quel week-end enivrant ! Durant quatre jours, le Salon du livre de Paris battait son plein à la Porte de Versailles et pour la première fois, je n’y allais pas comme un simple visiteur mais comme un auteur. Si la séance de dédicace du jeune auteur méconnu du public est une pratique nécessaire dans les salons ou les librairies, pour toucher un lectorat encore inexistant, je ne suis pas à l’aise avec cet exercice. Toutefois, je tente toujours une première approche parfois gauche, parfois maladroite, en faisant risette (sourire vendeur du commercial aux dents blanches essayant de fourguer sa marchandise) afin de convaincre de potentiels lecteurs d’acheter mon livre. Avec ce mouvement de la bouche, je l’accompagne d’un petit bonjour sympathique et mélodieux que parfois le badaud fait mine de ne pas entendre tout en accélérant le pas pour m’éviter. Ou me contourner en regardant ailleurs. Eh oui, le livre est une marchandise culturelle et cela depuis le XIXe siècle.
Bien sûr que c’est grisant d’apposer sa signature à la fin d’une dédicace pour un lecteur et que l’acte en lui-même est exaltant ! Mais que d’efforts pour y parvenir en tant que jeune auteur. Comme un enfant, je jalouse le jouet que je ne possède pas. Et je regarde d’un air envieux les séances de dédicace d’Amélie Nothomb ou de Bernard Werber, entre autres – premiers noms surgis de mon esprit mais il n’y a pas qu’eux, heureusement –, où de longues files d’attente de lecteurs patientent religieusement, livre en main, devant l’autel de leur divinité lettrée. Le rêve pour un auteur ! Une réelle consécration et une délicieuse jouissance intellectuelle. Moi, je trépigne des pieds en criant : « Et pourquoi pas moi ? »
Alors, une petite voix (vous savez celle un peu énervante et moralisatrice, provenant toujours d’un côté ou de l’autre de l’esprit) vient me susurrer à l’oreille : « Tu penses réellement déchaîner les foules avec ton recueil de haïku ? Oh ! Eh ! Aie cinq minutes les pieds sur terre ! » Du coup, j’inspire et j’expire un bon coup… et je redeviens pragmatique derrière ma table où deux piles de mon ouvrage attendent des acquéreurs. Après moult réflexions, j’admets une chose : pour conquérir les médias parisiens et donc toucher le grand public, je dois proposer autre chose qu’un recueil de poèmes chez un petit éditeur de province. Déjà que la poésie et le théâtre ne représentent que de 0,2 à 0,4 % du marché du livre en France, et ne touchent qu’un pour cent du lectorat français, alors la foule ne va pas se ruer devant ma table, même à Paris, en hurlant mon prénom et le titre de mon ouvrage.
En me lisant, vous aurez l’impression que j’ai la critique facile mais ne vous méprenez pas. Je ne fais nullement la fine bouche et mes propos ne sont pas péjoratifs lorsque j’écris « (…) je dois proposer autre chose qu’un recueil de poèmes chez un petit éditeur de province ». Sachez qu’il vaut mieux être chez un petit éditeur de province misant sur votre talent et vous laissant le temps nécessaire à la création plutôt qu’effectuer de l’autoédition à vos frais, et par dépit, car aucune maison d’éditions parisienne ne veut de vous.
Pourquoi ? D’une part, vous aurez l’avis aguerri et professionnel d’une tierce personne prenant le temps de lire votre tapuscrit. D’autre part, vous n’aurez pas à sortir votre portefeuille pour payer la mise en page, l’impression, la diffusion et la distribution car c’est lui qui prendra tout en charge ainsi que les risques et non vous. Enfin, méfiez-vous de l’appréciation des proches toujours admiratifs de vos œuvres (sinon changez d’amis et/ou de famille ou sinon arrêtez d’écrire !) réconfortant votre avidité de publier votre œuvre par vos propres soins.
Accompagné de votre éditeur, peut-être pénétrerez-vous enfin dans la demeure de la grande littérature française ? Certes, non pas par la grande porte mais par la petite porte qui n’est pas si vilaine en la regardant de plus près. En finalité, ce qui compte, c’est d’y entrer non ? Et puis si vous êtes chez Gallimard, Flammarion ou Albin Michel et consorts et que vous m’apercevez assis derrière une table sur laquelle s’entassent quelques exemplaires d’un livre bleu, eh bien n’hésitez pas à m’en acheter un ! Il y en aura toujours un pour vous et mon stylo sera prêt pour la dédicace !
Oh là là ! Moi, je dis ça, je dis rien !