Le bio, l’Europe et les industriels
Si quelqu’un m’avait dit qu’un jour que j’écrirais un billet sur le bio, l’Europe et les industriels, parce que la cause me concernerait également, je crois que je me serais esclaffé devant lui. Le traitant, pour l’occasion, de petit plaisantin tant ses propos seraient en total décalage avec les sujets abordés en général sur mon blog, sur les réseaux sociaux ou avec mes amis. Jamais, au grand jamais je ne rédigerai un papier sur le bio ! Pourtant, pour ce cinquième billet, le thème exprimé sera bien le… bio, les institutions européennes et les industriels. (Comme quoi, il ne faut JAMAIS dire : fontaine, je ne boirai pas de ton eau ! Parfois, il faut la déguster avec le sourire.) Attention, je ne me revendique nullement militant-combattant ou disciple-prédicateur qui prêcherait la bonne parole sous la forme de prosélytisme écologique. Faut pas non plus pousser le bouchon trop loin. Voyez plutôt l’acte comme un coup gueule d’un citoyen qui utilise son blog pour exprimer et revendiquer ses idées. Une prise de conscience individuelle complétée d’un discernement intellectuel sur le sujet.
Pourquoi manger bio et sauvegarder l’environnement de ce qui pourrait le détruire ? Une question pertinente et tellement ingénue qui attend toujours une réponse dans laquelle se trouveraient des solutions concrètes et efficaces. Ma génération tente d’y répondre en changeant ses habitudes alimentaires et la gestion de ses déchets depuis une quinzaine d’années. La suivante se préoccupe de sa santé et des éléments dans lesquels elle évolue depuis son plus jeune âge. C’est bien. Malheureusement pour nous, il est plus facile de maintenir ses mauvaises habitudes que de les changer. Sans se faire l’avocat du diable pour ma génération ou celle de mes parents, je me rappelle toutefois ces années quatre-vingt — vache, c’était… au siècle dernier —, où nous surconsommions tous azimuts : denrées alimentaires, vêtements, électroménager, hifi, culture. Un vent de liberté dans les sanctuaires érigés par les papes de la grande distribution. Ô grand lieu du bien-être et du bonheur pour les fidèles, ces temples permettant de dépenser sans compter — enfin, avec toutefois l’aide de la carte de crédit — pour toute la famille. Que de beaux rayons multicolores où s’exposaient fruits et légumes appétissants et uniformisés. Pas un seul défaut et d’un calibrage exceptionnel. Le rêve américain à la française. Sauf qu’au niveau sanitaire, nous n’avions pas toutes les données scientifiques et le recul nécessaire pour nous alerter sur la nocivité des aliments due à l’abus des engrais chimiques et des pesticides dans l’agriculture dite conventionnelle. Sans omettre les cadences infernales de production dans les filières industrielles porcines, bovines ou avicoles à une certaine époque. Y avait-il une pandémie de la famine en Europe ? Non ! Juste des industriels qui, pour des raisons pécuniaires avec notamment le profit — toujours lui — , hypothéquaient sans vergogne notre santé. Évidemment, je faisais partie de ces jeunes — comme les adultes — qui durant ces dix ans se disaient avec une certaine crédulité candide : « Si le produit est vendu dans le magasin, c’est qu’il est bon pour la santé ! Je ne crains rien ! » Étant enfant à cette période, je ne saurais me rappeler s’il y avait eu une prise de conscience collective sur la dangerosité pour notre corps des sodas, des bonbons ou des aliments transformés comme les plats préparés. Aussi à titre personnel, il m’aura fallu plusieurs années — disons des décennies pour que, d’une part, je me documente sur le sujet, d’autre part, je comprenne et je réagisse en conséquence et enfin, que je puisse changer mon mode alimentaire.
Alors mon coup de gueule est multiple. Ainsi, je trouve indécent de devoir débourser plus cher pour tout aliment bio qui demeure une nourriture de base nécessaire pour la survie de l’espèce humaine et animale et, a contrario, considérer comme hors-la-loi toutes autres denrées alimentaires polluées par les engrais chimiques et les pesticides. Excessifs mes propos ? Non ! d’utilité publique ! En effet, le bio est bien plus qu’un simple mode de consommation. Il faut biffer d’un trait le rapprochement simpliste entre l’écologie et les années soixante-dix avec les babas cool et leur mode de vie « très proche de la nature ». Le bio, c’est aussi la démarche sociale et éthique d’acheter des produits locaux et de bien meilleure facture. Prenons au hasard les fraises. Pourquoi acheter celles d’Espagne à moindre coût mais sans aucune saveur alors que nous avons sur notre territoire le quatuor français : la Gariguette, la Ciflorette, la Ronde et la Charlotte ? Le prix est plus cher mais ces dernières sont bien meilleures puisque charnues, sucrées et acidulées, elles ravissent les papilles. Privilégions alors le qualitatif au quantitatif et aussi pendant qu’on y est… le bio ! Enfin, plus je me documente sur le thème de l’agriculture biologique, laquelle est une alternative aux systèmes agricoles conventionnels, et plus je découvre des articles ou des rapports qui expliquent, preuves à l’appui, comment certains industriels pharmaceutiques, agroalimentaires ou chimiques, qui pratiquent une politique commerciale agressive, polluent l’environnement et tentent d’obtenir des monopoles dans leurs secteurs d’activité. Comment admettre et cautionner les mensonges ou les omissions aussi nombreux de ces protagonistes quand l’ensemble des produits incriminés sont un danger pour la santé publique ?
Parfois, je me dis qu’il vaudrait mieux que je pratique la politique de l’autruche : ne rien voir, ne rien entendre et ne pas comprendre la situation dans laquelle nous sommes car, franchement, il y a de quoi vous énerver ! Et pour conclure cette diatribe, il y a quelques semaines, j’apprenais par les médias que la Commission européenne souhaitait modifier la réglementation du secteur biologique pour autoriser la présence dans les produits bio d’une dose « acceptable » de pesticides de synthèse. Déjà que pour certains organismes français spécialisés dans la protection des consommateurs, le cahier des charges du label européen est moins contraignant que le label français AB, mais si en plus, le Parlement européen et sa Commission agriculture veulent supprimer ces seuils contraignants, il n’y a plus aucun intérêt à acheter Bio ! La certification ne sert plus à rien !
À ce jour, au moment où j’écris ces lignes, la dernière réglementation du label bio de l’Union européenne date de 2009 (n°834/2007). Sont toujours considérés comme produits bio ceux qui contiennent au moins 95 % d’ingrédients bio et pas plus de 0,9 % de traces d’OGM. Les textes indiquent, entre autres, l’interdiction de facto des pesticides, des engrais de synthèse, des produits chimiques (conservateurs, colorants, émulsifiants, arômes), l’irradiation des aliments pour les conserver, l’hydroponie, les OGM et dérivés dans l’alimentation des animaux, l’utilisation d’hormones de croissance et d’acides aminés de synthèse dans les élevages, le clonage et le transfert d’embryons, la limitation à titre curatif d’antibiotiques chez les animaux, la mixité des cultures de mêmes variétés bio et celles qui ne le sont pas, etc. Qu’en sera-t-il de la nouvelle révision des institutions européenne ? Que dois-je comprendre ? Que des lobbyistes à la solde de certains industriels, favorables à l’agriculture conventionnelle et dépendant de leurs marchandises, et surtout favorables à un bio à la réglementation moins coercitive, négocient avec une classe politique qui serait prête à sacrifier, sur l’autel du profil, la santé publique et la protection de l’environnement ? Si les parlementaires européens amendent le prochain texte proposé, qui a pour vocation de protéger les consommateurs par la contrainte d’un cahier des charges rigoureux auprès des agriculteurs et de l’industrie agroalimentaire, pour une baisse de la qualité des produits vendus, alors arrêtons tout net l’agriculture biologique « made in Europe » et revenons à des normes françaises qui semblaient bien plus strictes.
Par ailleurs, quelques organisations françaises dans le domaine de l’agriculture biologique ont créé un label plus strict appelé Bio Cohérence qui reprend la réglementation antérieure à 2009. Donc si nous devons changer nos habitudes alimentaires — ce qui ne se réalisera pas du jour au lendemain —, que les politiques contribuent eux aussi à la pédagogie et à l’enseignement pour le changement comportemental par notamment une prise de conscience par la société civile. Espérons que les élus se préoccuperont davantage des valeurs humanistes pour l’Homme et pour son environnement — afin de léguer aux générations futures une planète respectueuse et non pas une décharge à ciel ouvert — que des intérêts pécuniaires des industriels. Mais là, je ne me leurre pas. L’entreprise sera fastidieuse à mettre en œuvre et surtout à être acceptée par les fautifs. De toute façon, je ne crois pas en la nature humaine et si l’Homme devait être bon, nous le serions — nous sommes quand même les principaux intéressés. Le reproche qu’on peut me faire ? Je suis d’une nature pessimiste. Eh bien, si je devais me tromper, j’aimerais bien que ce soit sur ce sujet-là et que la prise de conscience se généralise. Même… pour les pollueurs ! CQFD.
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