Livres papier contre livres numériques
Avant de me décider à écrire ce billet pour partager mon exaspération sur le prix élevé du livre numérique par rapport à celui du livre papier, j’avais une vague idée de l’univers de l’édition et une opinion ingénue et sommaire concernant son marché. Je n’y avais pas porté une attention particulière jusqu’ici, c’est-à-dire, il y a quelques mois. Depuis le début de l’année, j’emprunte à la médiathèque un certain nombre de biographies — voire même des autobiographies — d’écrivains français. S’ensuit l’achat au format poche des œuvres les plus emblématiques des auteurs du XXe siècle que j’affectionne et dont je connais un peu mieux la carrière : Sartre, Beauvoir, Genet, Duras, Malraux, Camus et Hemingway entre autres. Et pour rester à la page avec les contemporains, pour l’instant : Thierry Hesse, Éric Fottorino, etc. Ainsi, en premier lieu, j’entasse leurs ouvrages sur mon bureau puis dans un second temps, je les lis pour m’imprégner de leur style littéraire.
Étant de nature assez curieuse et ne rechignant pas devant les nouvelles technologies, il y a quelques mois, je me suis dit qu’il serait judicieux d’acheter la version numériques de Paris est une fête et de Mémoires d’une jeune fille rangée afin de les lire sur ma tablette ou sur mon smartphone n’importe où et dès que l’occasion se présenterait. Puisque deux initiatives en valaient mieux qu’une, je me disais aussi qu’avec ces achats dématérialisés, j’allais disposer, dans ma bibliothèque, de quelques rayonnages de libre pour des ouvrages de collection. J’avais testé le procédé et… je me suis rapidement ravisé.
Après plusieurs tentatives infructueuses, je trouve que le plaisir de parcourir une œuvre littéraire sur un support papier est incomparable par rapport à la lecture d’un texte sur l’écran tactile d’un quelconque outil informatique. Autant parcourir un texte qui permet l’apprentissage de la méthodologie ou le perfectionnement dans la maîtrise d’un art, ou dans un domaine professionnel, j’y arrive sans problème. Autant, dès lors qu’il s’agit d’un roman ou d’une nouvelle, je n’adhère plus à l’histoire de la même façon et les mots se brouillent dans mon esprit pour finalement s’en échapper. Mon intellect n’est pas sollicité de la même façon. Bref, c’est un autre sujet que je n’ai pas le temps d’aborder ici.
Parlons plutôt du prix que les grands éditeurs français, protégés par la loi Lang de 1981, imposent au lecteur pour un livre dans sa version numérique. Attention, soyons bien clair, je ne parle pas des nouvelles maisons d’édition telles que — la liste n’est pas exhaustive — Les Éditions Publie.net ou StoryLab, pour ne citer qu’elles, qui axent leur politique de vente prioritaire sur le numérique et ensuite, sur le papier. Pour ces maisons, il existe des coûts incompressibles et nécessaires pour développer l’activité (gestion du personnel, des locaux, des investissements, etc.) et puis ceux liés à la production de l’ouvrage dématérialisé : frais de prépresse (saisie, traduction, traitement de texte et mise en page), de marquage sécuritaire (DRM), frais de développements informatiques, d’archivage, de maintenance, frais de promotion (attaché de presse), de marketing (publicité et merchandising), frais bancaires et commissions pour les librairies en ligne et les droits d’auteur des écrivains. Mais pour lesdits grands éditeurs français, dont l’impression du tirage papier représente la quasi-globalité de leur chiffre d’affaires, pensez-vous un seul instant que le fichier type Indesign, Xpress ou PDF utilisé chez l’imprimeur soit inutilisable pour une version numérique ? Que la campagne de publicité qui accompagne la sortie d’un livre broché ou relié change la facture s’il existe une option de téléchargement pour sa version numérique ? D’accord, l’éditeur prend peut-être un risque financier sur un nouvel auteur ou sur un nouveau roman. Je gratte un peu plus l’écorce ; toujours plus profond. « — Vous voulez des exemples ? — Évidemment Jean-Michel, étaye un peu tes propos ! »
L’ouvrage Paris est une fête d’Ernest Hemingway, sorti en 1964, a renoué avec le succès, dans sa version de poche, en novembre dernier après les évènements tragiques du 13 novembre 2015, à Paris. Il s’en vendait par semaine, avant les attentats, environ une centaine d’exemplaires. Après la tragédie, il s’en écoula 28 000 exemplaires par période de sept jours, soit 125 400 vendus sur l’ensemble de l’année 2015. Sa version papier coûte 8,20 €, sa version numérique 7,99 €. Le livre n’a-t-il pas déjà été amorti depuis cinquante et un ans ? Peut-être fallait-il traduire une seconde fois le texte original en français ? Qui sait, de l’au-delà, Hemingway a peut-être modifié sa prose ? Remplacer l’ancienne mise en page par une nouvelle. Mettre en place une campagne de publicité chez les libraires concernant ce tout jeune auteur américain Ernest Heming… Hemingway ? À l’instar de cette délicieuse et jeunette écrivaine française appelée Simone de Beauvoir dont le livre Mémoires d’une jeune fille rangée, sorti en 1958, vous coûte en livre de poche 8,70 € et en livre numérique 8,26 € Pour certaines enseignes, dites culturelles, si vous allez les récupérer en magasin, vous bénéficiez d’une réduction de 5 % de remise pour la version papier, ce qui rend l’ouvrage encore moins cher que la version dématérialisée. Cherchez l’erreur ! Et le bon sens de la logique intellectuelle. Ah non ! La logique commerciale, pardon ! Allez, un dernier pour la route avec un auteur contemporain : Chevrotine d’Éric Fottorino paru le 7 janvier 2016 aux Éditions Gallimard, en livre de poche pour 7,10 € et pour 6,99 € sur votre tablette. À l’origine, le livre de poche fut créé pour réimprimer des ouvrages déjà connus avec un succès suffisant et les proposer à un prix attractif. En 2013, son marché représente 13,4 % des ventes de livres et 24 % des volumes. Son chiffre d’affaires avoisine les 343 millions d’euros pour 103 millions d’exemplaires écoulés. Alors qu’attendent-elles pour proposer une impulsion avec des mesures dignes du livre de poche pour la version numérique ?
Pour enfoncer le clou, et après j’en aurai fini, je peux acheter un réel « objet numérique littéraire » avec du texte enrichi de contenus audiovisuels pour 7,99 € : Beauvoir, l’enquête d’Irène Frain aux Éditions StoryLab (il n’existe pas de version papier). Là, il y a une cohérence et une justification du prix. Ce n’est pas juste, comme pour les exemples cités ci-dessus, un vulgaire copier / coller de la version papier.
Alors, les maisons d’édition n’ont-elles pas vocation d’avoir une vue d’ensemble du marché et de se comporter tel un visionnaire esthète dans leur domaine de compétence ? De pressentir les nombreux changements technologiques de lecture et en conséquence anticiper le comportement du lecteur ? À défaut d’être pragmatique, les voilà réactionnaires et conservatrices. Distillant leurs argumentaires sophistes, elles alimentent la querelle de clocher qui bat son plein depuis quelques années sur l’épineux sujet du livre papier face au livre numérique. Sans omettre le dossier du téléchargement illégal de ce dernier. Encore un sujet sulfureux ! Je me rappelle une tout autre histoire survenue par le passé dans un autre secteur culturel : l’industrie musicale et cinématographique. À cette époque, les majors avaient poussé des cries d’orfraie contre les téléchargements pirates — donc illégaux — des fichiers mp3 ou mp4. Refusant d’adopter une réelle politique commerciale avec des prix attractifs, et en prenant en considération le web et la nouvelle façon de consommation des internautes, les industriels ne voulaient surtout pas réduire leur marge bénéficiaire conséquente, tout en espérant maintenir leur chiffre d’affaires considérable avec des parts de marchés monopolistes. Finalement, en conservant leurs œillères et en tergiversant pendant des années, des start-up ont vu le jour telles que Deezer, Sportify ou Netflix qui ont imposé aux anciens, le nouveau marché avec des forfaits alléchants face à l’achat unique d’un CD ou d’un DVD. Aujourd’hui, les acteurs du marché du livre semblent suivre la même voie de l’erreur. Dommage ! C’est encore le lecteur qui va en pâtir, pour l’instant ; demain, la donne ne sera plus la même mais il sera déjà trop tard pour les vieilles maison d’éditions séculaires. Le compte à rebours à déjà commencé.
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