— Un vin cuit s'te plaît !
demande le petit homme
accoudé au comptoir du bar ;
— Et glou et glou et glou !
Par ici... l'igloo ! braille-t-il
au barman
qui reste silencieux.
il lui sert son ballon
Tous les deux
se regardent
avec un sourire
de circonstance.
les murmures de la salle s'estompent peu à peu
— Comment vas-tu Jeannot ?
lui demande-t-il
en posant la bouteille
derrière le comptoir,
la phrase exprimée
résonne dans la salle
comme une marque de politesse.
Une petite gorgée
puis une autre
et le verre
est reposé.
Le petit homme
mesure 1 m 50
tout au plus,
il tourne la tête,
vers la gauche
puis
vers la droite,
pour enfin
fixer son regard
sur les serveurs,
tous à desservir
les tables
sur lesquelles
l'agitation et la voracité
des clients étaient palpables,
il y a encore peu.
quatorze heures trente à la pendule au mur
Il ne reste plus que
le petit homme
à la chevelure dégarnie
et au visage buriné
par le temps,
marqué
par la détresse
et l'alcool ;
le barman
essuie des verres,
moi à rédiger
quelques notes
ou à jeter des coups d’œil
vers la vitrine puis vers le zinc.
— Oh pas grand-chose
mon vieux, toujours pareil !
rétorque le petit homme
arc-bouté
contre le comptoir,
devant lui,
un vieux miroir piqué,
son image semble désuète,
éteinte de toutes émotions ;
attend-il vraiment
une réaction
à sa réponse
de qui que ce soit ?
Le barman
s'affaire au nettoyage
de son plan de travail,
il regarde souvent
la pendule au mur.
quinze heures
Sur le comptoir,
le verre vide
du petit homme
et de la monnaie.
Il n'y a plus que moi
dans la salle,
sur l'avenue
ne résonne que l'écho
du ballet des véhicules ;
le petit homme
est parti
depuis combien de temps ?
Ne pas s'être aperçu
de son départ,
le barman,
non plus.
Poème de Jean-Michel Léglise – octobre 2019 / juillet 2022
Accompagnements graphiques du poème : Philippe Bouret
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