Les portes de la rame de métro
s'entrouvrent à peine,
un flot compact de voyageurs
se déverse sur les quais ;
l'agglomérat d'humains,
au pas de charge,
emprunte au plus vite
les escaliers et les escalators
pour atteindre la surface.
Les uns à peine échappés
du boyau métallique,
voilà que les autres s'y engouffrent,
se bousculent, s'agitent,
espèrent trouver une place,
pourtant réduite
voire inexistante,
dans les wagons ;
avant que la sirène
ne retentisse
et que les portes automatisées
ne se referment,
ça fourmille de toutes parts
jusqu'à la dernière seconde.
Arpenter sans réfléchir,
suivre la file oppressante
d'automates hétéroclites,
à quelques pas
de l'escalier principal,
le vent frais s'engouffre
et disperse les relents des égouts,
l'odeur d'urine et de sueur
de fin de journée ;
en avoir ma claque
de ces corps immondes,
de ces visages crispés,
me sentir broyé de l'intérieur.
Monter les marches
deux par deux,
sur ma droite,
à la hauteur de mes yeux,
admirer
un bracelet brésilien coloré,
sur la cheville gauche
d'un corps élancé,
c'est à cet instant précis,
que tout s'obscurcit
autour de moi,
sauf ce bracelet brésilien coloré,
sur cette cheville gauche
de ce corps élancé.
Descendre le regard,
juste un peu,
ses petits pieds se dévoilent
dans de jolies tropéziennes en cuir,
envie de les caresser,
envie de les mordiller
et de les respirer ;
remonter le regard,
plus haut,
et distinguer un étendard
flottant au vent
sous la forme délicate
d'une jupe rouge plissée.
Elle grimpe les escaliers
avec vivacité,
impossible
d'admirer son visage,
au lieu de cela,
ses effluves d'eau de toilette
troublent mes sens,
mon esprit est pénétré
par tant de saveurs,
me voilà au contact
d'un bouquet de fleurs
en plein cœur de Paris.
Une ombre s'impose
sous son tissu écarlate,
percevoir sa lingerie,
alors sourire
et tenter de la doubler
pour espérer
croiser son regard :
qu'elle me voit !
mais plus agile
que mon corps épuisé,
la jeune fille se faufile
dans la masse des hommes ;
perdre de vue
ce bracelet brésilien coloré,
sur cette cheville gauche
de ce corps élancé.
Enfin le trottoir !
respirer un bon coup
mais les arômes des fleurs
ont disparu
et sans son visage,
ce corps élancé
restera dans ma mémoire
une simple photographie
d'une inconnue
au bracelet brésilien coloré
sur sa cheville gauche
Poème de Jean-Michel Léglise – novembre 2019 / juillet 2022
Accompagnements graphiques du poème : Philippe Bouret
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